Je ne fais pas partie de l'élite de la nation, mais je la nourris.

Publié le par Gisèle

Aujourd'hui est un jour spécial pour des milliers de jeunes français, un jour d'extrême soulagement ou d'amère déception : c'est le jour des résultats d'un des diplômes les plus surévalués du système scolaire (juste après le brevet des collèges) : le baccalauréat général. L'occasion pour moi de pousser un petit coup de gueule.

 

Comme certains le savent, je fais partie de ces personnes qui étaient promises à des études brillantes et dont les parents pensaient qu'elle deviendrait ingénieure ou avocat d'affaire. Pendant toute ma période prépubère, j'avais des résultats honorables à l'école, sans même faire l'effort de travailler. J'ai eu mon bac avec mention, puis je suis entrée à la fac, quoi de plus logique ? C'est le parcours ordinaire et convenu pour une jeune fille qui n'est pas en échec scolaire.

 

Mais cette logique n'en est pas une. Alors que les lycées se félicitent de former la future élite de la nation, que des parents pleins d'espoirs et de rêves de gloire pour leur progéniture préparent ces derniers à des concours d'entrée dans les meilleurs écoles du pays, alors que des milliers d'adolescents sont sur le point d'entrer à l'université persuadés d'être au début d'une carrière brillante, peu se doutent réellement de la réalité qui les attend.

Le baccalauréat est, comme je l'ai annoncé plus haut, un diplôme surévalué. On met un pression exagéré à des gamins pendant des mois pour un examen que 80% d'entre eux vont obtenir sans problème, et qui ne prépare absolument pas à la dure réalité de la fac. Lâchés seuls et sans filet dans des amphis pleins à craquer et bourrés de redoublants alcooliques, combien d'entre eux vont se laisser entraîner dans les soirées étudiantes sans fin, ne pas assumer la dose de travail nécessaire à l'université, manquer des cours, être obligés de travailler 20h par semaine pour payer une cage miteuse en cité U ?

Et malgré tous ces obstacles, combien de ceux qui réussiront auront un poste à la hauteur de leur travail ? Quand admettra-t-on qu'il faut arrêter de faire rêver les jeunes étudiants en droit avec des postes de magistrat à la Cour Pénale Internationale ou des cabinets de notaire et leur dire dès leur arrivée que l'immense majorité d'entre eux passeront des concours niveau Bac pour devenir presse-papier dans une administration ?

 

Un élève de lycée général souffre d'une discrimination "positive". On part du principe que puisqu'il va passer son bac, il ne sera intéressé par rien d'autre que des études supérieures. Parmis ceux d'entre vous qui on passé trois ans en lycée, combien ont reçu des informations sur l'apprentissage et les métiers de l'artisanat ? Personnellement, on ne m'en a jamais parlé. Les réunions d'orientation étaient centrées autours de l'université, même si cela signifiait qu'on m'encourageait dans des voies complètement bouchées comme des études d'anthropologie ou de lettres modernes.

Ce manque d'intérêt pour les fillières professionnelles est dû au fait qu'on n'y met que ceux dont on veut se débarasser parce qu'ils sont en échec scolaire. Les classes de CAP sont remplies de cas sociaux qui n'ont pas plus envie d'être là qu'ailleurs. Les personnes engagées dans ces cursus par choix personnel se comptent sur les doigts de la main. Cela contribue évidemment à la baisse graduelle du niveau de ces diplômes qui sont alors encore plus dépréciés, et ainsi de suite. Allez dire à votre famille de doctorants et autres agrégés que vous venez de terminer votre apprentissage en restaurant avec succès et que l'avenir s'annonce brillant et regardez la tête qu'il feront.

 

Pourtant, on dit souvent qu'il n'y a pas de sot métier. Le plus beau des jobs et celui que vous voulez faire tous les jours de votre vie et qui vous nourrira. Que ce soit professeur à l'université ou ébéniste. On ne peut même pas dire que les études garantissent des revenus confortables, un plombier pouvant gagner plus qu'un médecin. Et les filières pré-bac ne seront un puit d'analphabétisme que tant qu'on n'encouragera pas des jeunes doués à les intégrer.

Je me souviens d'un article dans le magazine Metro qui présentait le parcours d'une cuisinière dont j'ai pris soin d'oublier le nom. Elle est fille de doctorants, a obtenu son bac avec mention, passé quelques années à la fac puis a tout abandonné pour passer un CAP cuisine en alternance. Elle est maintenant second de cuisine dans un des plus beaux restaurants de la capitale. Des histoires comme cela sont possibles, et même nombreuses.

 

J'en profite pour remercier les personnes qui font de mon abandon des études supérieures une aventure enrichissante et une fierté, celles qui m'ont encouragé, celles qui ont travaillé avec moi, celles pour qui j'ai travaillé, celles que j'ai rencontré sur le chemin et qui font que je n'ai jamais regretté une seconde de choisir cette voie parce qu'elle me promet une vie plus belle que tous les concours administratifs du monde n'auraient jamais pu m'offrir.

 

 

 

 

 

 

 

Et j'emmerde le jury du concours d'entrée à Science Po !

Publié dans Humeur

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